Journal

03/06/2014 - Photos

Le Louvre en mode ghetto

par Nora Mandray, DIY Manifesto

A Détroit, « le Louvre » conjugue recyclage et Street art


Avant l’entrée en gare de Détroit, un détail interpelle le voyageur : une chouette géante érigée sur le mur de Lincoln Art Park, au regard interrogateur.

Ce que le spectateur ne voit pas c’est que, derrière cette chouette, les ruines et débris divers qui donnent au lieu un air de décharge sauvage, renferment une riche activité et quelques trésors.

C’est Recycle Here, le plus grand centre de recyclage de Détroit. La municipalité étant dans le rouge depuis longtemps, ce sont les Detroiters eux-mêmes qui doivent assurer le tri sélectif. A l’intérieur de ce hangar, des vieux bouquins annotés, des chaussons et d’autres objets orphelins ont trouvé refuge dans cette arche de Noé du tri sélectif, édifiée par Matthew Naimi, fondateur de Recycle Here. Les résidents sont incités à déposer leurs objets inutiles et à se servir en échange, en plus de se défaire de leurs pots de yaourts et autres boîtes de conserve dans les bacs de recyclage.

« Vous voulez voir un truc un truc cool ? » Matt vient de surgir de l'arrière-cour. Il nous guide le long de Lincoln Street et désigne un mur du doigt. Sept grandes lettres blanches sont adossées au mur : ‘DESTROY’ (détruire). « On va accrocher ça au printemps ; elles vont briller la nuit. Impossible de dire dans quel ordre on va les mettre, j’aime bien aussi le mot ‘OYSTER’ (huître) ».

Sur son bras gauche Matt porte un tatouage flamboyant, une abeille rieuse : c’est le logo de Recycle Here. Notre homme ne prend pas les choses à la légère. Il arbore aussi le fameux “D” de Détroit, auquel il a rajouté un serpent. « C’est le bien et le mal. Le gars qui m’a tatoué a fait ces graffs ici ». Tout autour, des graffitis bariolés, des sculptures et autres éléments « super chouettes » sautent aux yeux. « J’appelle ça Ghetto Louvre ». Rien de moins.

Matt grimpe de vieux escaliers en pierre qui mènent à une vaste friche. Comme c’est souvent le cas à Détroit, il y avait des maisons autrefois ici. Puis les gens ont commencé à y laisser leurs vieux pneus et tout leur débarras. “Au lieu de fermer l’espace, on a décidé de le rendre plus joli. Notre idée, c’est d’inviter à l’intérieur au lieu de bouter au dehors ! Et ça marche. Tout le monde respecte le lieu maintenant ».

Ghetto Louvre a la même philosophie « post-mortem » que Recycle Here. Des fleurs pérennes, de maisons détruites y ont été transplantées. Une bouche à incendie fuit sur le bord de la route : « des bambous poussaient là, c’est une manière de les garder en vie ». Des artistes avec des projets décapants en mal d’espace se tournent souvent vers Matt.

Au crépuscule, les gens se retrouvent parfois ici autour d’un feu de camp pour des soirées « vin & whisky ». Matt aussi. « Les trains et les feux de joie sont deux éléments classiques de la culture américaine. Les gens font ça depuis des années ici – raconter des histoires au coin du feu, tandis que passent les trains de marchandises ». Matt veut que Détroit reste bizarre : « le bizarre c’est le plus petit dénominateur commun, que tu sois noir, blanc, jeune ou vieux. Ce qui est bizarre rassemble tout le monde au même niveau ». Jusqu’à présent il a bien réussi. Les habitants de Détroit ont intégré Recycle Here à leur routine hebdomadaire.