Journal

20/07/2014 - Article

La Péniche

par Hélène Bienvenu, DIY Manifesto

L'autogestion 2.0


A Grenoble, les sept salariés de la Péniche, une agence de communication spécialisée dans l’économie sociale et solidaire, fonctionnent sans chef et touchent le même salaire. Ces collaborateurs rassemblés au sein d’une SCOP réinventent le travail. Voici comment.

Tous dans le même bateau

Par cette matinée ensoleillée, les coopérateurs de la Péniche sont au rendez-vous dans leur bureau à quelques arrêts de tramway du centre-ville de Grenoble. Sourire aux lèvres, ils tapotent sur leur PC, chacun dans leur coin. Jusque-là rien ne distingue vraiment la Péniche d’un « open-space » ordinaire. Sauf que… ses collaborateurs naviguent sur un même bateau dont ils partagent le gouvernail. Julie et Sylvain, deux membres de l'équipage, se sont prêtés à l’exercice des questions-réponses autour de la Péniche, une SCOP qui a opté pour un mode de gestion résolument DIY.
La Péniche vise à relier des gens, des institutions et des plateformes dans leur communication sur le web. Comme aime le dire Sylvain “On utilise le web pour fédérer des acteurs qui ne sont pas dans les mêmes structures, c’est une forme de marketing artisanale sur les thématiques qui nous intéressent”. Des thématiques telles que le développement durable, le travail collaboratif, le DIY, ou encore l’Open-data, dernier cheval de bataille de ces bateliers 2.0. Côté outil, « on privilégie les logiciels libres sans pour autant se forcer à jouer les martyres quand l’ergonomie pêche, et bien sûr on utilise aussi les réseaux sociaux y compris Facebook ».

Mais on sent ce collectif soudé, pétri d’une ambition plus large : un vrai projet de société. Sylvain, qui par ailleurs travaille sur un projet de lieu alternatif en plein centre de Grenoble, ne s’en cache pas « notre réflexion au fond, c’est : qu’est ce qu’un bon citoyen à l’ère du 2.0 »

Autogestion, autoformation, polyvalence

Au sein de la Péniche chacun mène sa barque sans chef à bord, c’est le principe de l’autogestion. « Tous les coopérateurs n’ont pas lu Marx ni Bakounine mais dans la quotidien ça fonctionne. On renoue avec l’idée de travailler autrement, tout en remettant à plat l’idée de collaboration. Au sein des structures existantes ailleurs, il serait tout à fait envisageable de créer des cellules d’autogestion, même dans l’économie sociale et solidaire tout est très pyramidal ! Par contre, il faut avoir envie de tenter l’expérience » prévient Sylvain. Car l’autogestion ça se construit et surtout, ça se nourrit.

Pourtant, au sein de la Péniche tout le monde n’est pas rôdé comme Sylvain au travail sans hiérarchie depuis vingt ans. Julie par exemple a découvert l’autogestion en rejoignant la Péniche en 2011 après être passée par le monde de l’associatif et de l’entreprise. Elle a même quitté la SCOP un temps pour remonter à bord un an plus tard. Aujourd’hui elle avoue qu’elle ne pourrait pas faire machine arrière « en quoi se justifie un écart de salaire chez quelqu’un qui me dirige et ne prend pas plus de risques que moi ? ». Au sein de la Péniche, tout le monde touche 2 000 euros nets par personne. La SCOP est même bénéficiaire et constitue des réserves qui sont reinvesties dans de nouveaux projets. Qui plus est, un quart des salaires est reversé en sus, au bout de cinq ans sous forme de primes à ses salariés.

Le collaboratif avant tout

Mais qu’est-ce qui fait donc la particularité de la Péniche ? « On ne travaille jamais seul sur des dossiers, on est toujours en binôme ou trinôme mais on garde l’œil sur la plupart des chantiers en cours. » Polyvalence de mise mais non obligatoire « Tout le monde ne se forme pas in fine à In Design mais la possibilité existe bien pour ceux qui le veulent ». Côté organisation cela se traduit par une réunion par semaine pour passer en revue les dossiers, et plusieurs temps de travail en commun.
La péniche ne se prive pas non plus de nouvelles expériences. Comme - récemment - organiser un festival pour 20 000 personnes. Une première « on a travaillé un an dessus, on sait qu’on peut le faire. Mais c’est vrai qu’on a tous un peu maigri ! Et certains n’ont guère envie de se relancer dans une telle aventure ! » avoue Sylvain, rieur. Résultat, dans la tête des coopérateurs, c’est plus tout à fait du 8h-17h même si personne ne fait d’heure supplémentaire et que tout le monde prend des congés. « Ce qui diffère, c’est qu’on sait pourquoi on se lève le matin. On porte les projets qui nous tiennent à cœur et on s’épaule » explicite Sylvain, qui revient sur les avantages de la Péniche « Notre manière de fonctionner est surement plus lente et coûteuse mais on fait moins d’erreurs et les membres de la Péniche sont plus motivés ».

Une structure qui intrigue…

Julie s’empresse de souligner avec malice que le fonctionnement de la Péniche laisse pantois, vu de l'extérieur. « Il y a des gens qu’on dérange par notre structure, ils nous demandent souvent « Vous êtes la Péniche ? Bien, mais on a besoin d’un nom ! Ils ne comprennent pas qu’on puisse n'avoir qu’un seul email pour toute l’équipe ! »

Des limites réelles

Mais les limites de l’autogestion sont bien réelles. D’abord, le bon fonctionnement d’une entreprise sans chef tient beaucoup à la volonté de ses collaborateurs. « Les gens qui ont vraiment envie de faire de l’autogestion ; il y en a très peu. C’est plus qu’une question de volonté et le problème c’est qu’on a pas de mode d’emploi ! »
Autre facteur déterminant : la taille du collectif. Sylvain reconnaît que « A plus de dix, cela commence à être difficile ». Enfin, s’il n’y a pas de dirigeant, il faut faire attention aux leaders et à leur rapport au pouvoir. Sylvain comme Julie reconnaissent qu’à la Péniche « il y a une vraie vigilance autour de ça » et des garde-fous de bon sens sur lesquels chacun veille.